Rando-LCA : Biais de mémorisation

Est-ce que le soleil nous rend aveugle ? Est-ce que le téléphone donne des tumeurs au cerveau ? …

Ces questions qui agitent régulièrement la toile, animent aussi le cerveau des chercheurs depuis des dizaines d’années. De nombreuses études ont été organisé à travers le monde pour essayer de trouver des réponses scientifiquement valides. La plupart d’entre elles sont des études cas-témoins : des cas sont identifiés par une équipe de recherche, ces cas sont interrogés sur leur mode de vie (exposition au soleil dans l’enfance, utilisation du téléphone portable…), puis des individus indemnes de la maladie sont recrutés et doivent répondre aux mêmes questions ; ce sont les témoins. Les chercheurs peuvent alors identifier si certains facteurs sont associés ou non au déclenchement d’une maladie. Le problème est qu’à chaque fois, dans ce type d’étude, les chercheurs se confrontent à une difficulté majeure : le biais de mémorisation. (recall bias en anglais) Ce biais est indispensable à connaître pour les ECNis. (2017 Article 1 / question 6).

Le mois dernier, j’ai été directement confronté à ce biais en stage, d’où l’envie de vous le présenter en détail.

Dans le cadre d’une étude qui cherchait à évaluer la relation entre l’exposition solaire et la DMLA (dégénérescence maculaire liée à l’âge), je devais interroger trente patients atteints de DMLA et trente témoins (patients du même âge n’ayant pas la maladie) sur leurs pratiques en terme de protection solaire (port d’une casquette, utilisation de crème solaire, activités en extérieur…). Au bout d’une quinzaine d’interviews, je me suis rendu compte qu’il y avait une différence systématique dans la précision des réponses des cas et celle des témoins. En effet, la plupart des cas, une fois confrontés à leur diagnostic de DMLA avaient fait des recherches sur internet, discuté avec leur conjoint… Ils avaient donc déjà réfléchi en détail aux questions que nous leur posions. Leurs réponses étaient ainsi plus précises que les patients indemnes de maladie.

Ainsi, à cause de ce phénomène, les résultats de l’étude risquent d’être biaisés :

une erreur systématique dans le recueil de l’exposition solaire des cas va entraîner une surestimation de l’exposition solaire dans le groupe des patients atteints de DMLA. L’association entre DMLA et exposition solaire chez les cas ne reflètera pas la réalité.

Ce biais a été très bien décrit et mesuré dans les études cherchant une association entre l’utilisation d’un téléphone portable et le développement de gliome du nerf auditif. Les investigateurs devaient jugé de la qualité de réponse aux questionnaires par les participants d’une grande étude cas-témoin réalisée en Finlande en 2006. Ils ont trouvé 60% plus de questionnaire mal rempli dans le groupe témoin par rapport au groupe de cas atteint de gliome du nerf auditif. Les patients malades se sont beaucoup plus impliqués dans l’étude et ont donc répondu de façon beaucoup plus précise au questionnaire. Il n’était alors pas possible de conclure sur un lien entre utilisation du téléphone portable et développement d’une tumeur du nerf auditif.

Il existe des stratégies pour s’affranchir de ce biais :

  • faire des études de cohorte prospective et non pas rétrospective.
  • Choix précis dans les questions posées par les investigateurs
  • Recueil des informations des cas et des témoins dans les même circonstances. (si les cas sont interrogés dans un hôpital, il faut que les témoins le soit aussi)

Maintenant, vous avez le réflexe, dès que vous verrez une étude cas témoin, il faut noter sur sa feuille de brouillon : ATTENTION biais de mémorisation probable et les auteurs ont-ils mis en place les mesures nécessaires pour limiter son effet ?

FICHE FLASH :

PDF disponible sur simple demande par mail.
  1. Catalogue of Bias Collaboration, Spencer EA, Brassey J, Mahtani K. Recall bias. In: Catalogue Of Bias 2017. https://www.catalogueofbiases.org/biases/recall-bias
  2. Auvinen, A., Toivo, T., & Tokola, K. (2006). Epidemiological risk assessment of mobile phones and cancer: where can we improve? European Journal of Cancer Prevention, 15(6), 516–523. doi:10.1097/01.cej.0000203617.54312.08
  3. Risk Factors for Neovascular Age-Related Macular Degeneration. (1992). Archives of Ophthalmology, 110(12), 1701. doi:10.1001/archopht.1992.01080240041025
  4.  

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